En janvier, à l'occasion d'une « causerie » en ligne sur la gouvernance partagée* et la formalisation des processus d'organisation collective, menée par Jean-Luc Christin (Gouvernance cellulaire) et Laurent Van Ditzhuyzen (Université du Nous), la thématique « discipline et liberté » a été effleurée.
Au passage, merci à eux pour la richesse des échanges, l'authenticité des partages et la beauté de leurs visions. Cette qualité de réflexion et de mise en action des processus relationnels et de coopération est infiniment rare... et précieuse.
Ces échanges m'ont donc inspiré quelques réflexions, basées sur mes expériences vécues et mes aspirations, à travers différents contextes : professionnels, personnels et relationnels.
Et si la liberté pouvait se lire à travers le cadre qui lui donne une forme ?
(lac Titicaca, Pérou)
Dans un contexte professionnel, je suis confrontée à cette problématique par deux aspects : la facilitation de prises de décision en collectif, et mon organisation personnelle au quotidien.
L'une de mes passions, c'est l'animation de groupes et plus spécifiquement la facilitation en intelligence collective, grâce à des pratiques comme la gouvernance partagée. Lorsque j'anime, que je « facilite » des prises de décision collectives, je suis très attentive à ce qu'un cadre soit posé, et a fortiori qu'il soit respecté. Qu'il s'agisse de bonnes pratiques relationnelles, de modalités de prise de décision, de règles ou de processus établis, j'ai à cœur de veiller à ce qu'ils soient formalisés, conscientisés et respectés.
Ma posture de facilitation est à cet égard exigeante et parfois stricte, j'apprécie qu'il y ait une forme de discipline dans le déroulé des processus (une forme de verticalité), tout en gardant de la souplesse dans le cadre. Je suis tout à fait à l'aise avec des temps « off », moins formels et formalisés, où l'intelligence collective bouillonne, où les prises de parole sont plus spontanées (une forme d'horizontalité), dans la mesure où ces temps savent laisser la place à d'autres modalités de fonctionnement collectif.
C'est la capacité à tenir le cadre, à suivre les processus collectivement définis, qui garantit pour moi la possibilité de laisser vivre une véritable liberté au sein de l'organisation. Le fait d'avoir une vision commune, un terrain de jeu commun, des règles du jeu partagées (et la possibilité de les faire évoluer collectivement) rend effectives nos libertés, à la fois individuelles et collectives.
Tenir le cadre, suivre les processus, pour atteindre son objectif...
Une réflexion imagée par les lignes de Nazca, au Pérou.
Parallèlement, travaillant en majorité depuis chez moi, en télé-travail (et presque depuis le début de ma vie professionnelle), j'observe l'importance de me doter d'une forme de discipline. C'est nécessaire pour atteindre mes objectifs - qui sont ceux que je me fixe de façon autonome, en lien avec la raison d'être des organisations pour lesquelles j'œuvre. Je me rends compte que si cela est naturel chez moi, que je possède une capacité à m'auto-organiser, à structurer mes journées, à me fixer des objectifs et à les atteindre, c'est loin d'être le cas pour beaucoup de personnes. J'ai récemment pris conscience, avec gratitude, que je possède un « gardien intérieur » très présent et sain, qui me permet d'explorer des formes de liberté grâce à un cadre souple mais actif.
Je considère que c'est une condition sine qua non pour pouvoir vivre cette liberté au quotidien. Sans discipline personnelle, sans capacité à poser et tenir un cadre exigeant, je n'aurais pas la possibilité de me sentir si libre dans mon travail et dans mon organisation personnelle.
L'alliance de la verticalité et de l'horizontalité...
Se relier au plus grand et plus loin que soi.
Se tenir droit, voir loin.
Je peux reconnaître cette même question d'atteindre la liberté grâce à la discipline dans un contexte différent, autour d'une autre passion, l'équitation. Comme pour toute pratique vécue intensément, qu'elle soit sportive ou non, l'effort, la régularité et la discipline font partie des moyens à mettre en œuvre pour atteindre son but. Lorsque l'on pratique le dressage en équitation, il est attendu que nous ayons le dos droit, le regard porté vers l'avant, une intention claire et une posture équilibrée. Une rectitude, un axe vertical solide, tout en préservant souplesse et délicatesse. C'est ce cadre, cette pratique assidue, cette exigence qui permettent d'atteindre des moments fugaces de liberté, d'harmonie avec son compagnon à quatre jambes.
Les méditants et adeptes de pratiques zen ou martiales pourront y reconnaître de nombreux parallèles, j'y reviendrai peut-être dans un futur article.
Bien entendu, un profond sentiment de liberté peut aussi être ressenti lors de galopades effrénées, comme j'ai pu le vivre sur les plages normandes ou les côtes marocaines, ou en pratiquant l'équitation naturelle. C'est alors un véritable lâcher prise, un abandon dans l'instant. Mais ce sentiment de liberté a une autre saveur lorsqu'il est le fruit de la persévérance, de la rectitude, de la sensation d'être droit au milieu de soi. Une saveur plus sobre, plus minimaliste, plus subtile. Mais tout aussi délicieuse.
Enfin, c'est moins perceptible dans la sphère relationnelle ou intime, mais tout aussi important à envisager il me semble. Partager des valeurs communes, adopter un mode de communication adapté aux différentes parties, définir un cadre relationnel, pour que chacun se sente en sécurité de vivre ses élans intérieurs et d'exprimer son authenticité.
L'objectif n'est pas ici de tout formaliser dans la relation, mais de permettre entre autre trois éléments :
• Que chacun·e puisse définir ses besoins, envies et limites en toute sécurité,
• Que les remous et challenges puissent être traversés avec confiance et respect,
• Que les aspirations et valeurs communes soient partagées avec conscience et clarté.
Particulièrement dans le cas de « relations apprenantes », de chemins d'évolution partagés dans l'intimité, il me semble nécessaire de pouvoir s'appuyer sur un cadre, bienveillant et évolutif.
Pour conclure cet article déjà long, je pose que l'une de mes intentions dans cette vie est de transformer les cadres rigides et contrôlants en cadres évolutifs et exigeants. Concevoir et mettre en mouvement un cadre souple où authenticité, exigence et adaptabilité en constituent le cœur. Et avec de la joie et de l'imprévu, bien sûr !
* La gouvernance partagée est un mode d'organisation qui vise à repenser la façon de fonctionner ensemble et de faire collectif. Elle porte l'intention de faire vivre la coopération et l'intelligence collective, en partageant le pouvoir et les responsabilités. Elle fait rimer inclusion et efficacité, autonomie et responsabilité, dans une optique de confiance « a priori ». Plus d'infos dans un prochain article ;-)