Un soir, récemment, j'ai été prise dans un tourbillon d'émotions. Ce n'était pas une petite larme, un agacement qui pointe son nez, une frustration qui arrive et repart rapidement. Non, cette fois c'était intense, prenant, envahissant. Cela m'a surprise car ce que je ressentais, c'était une profonde tristesse et douleur face à l'état du monde, face à la souffrance du vivant, face à l'errance des humains.
Une contrariété dans la journée, un sentiment de solitude, des craintes sur l'avenir, un film ravivant la tristesse d'un deuil, mon cycle pré-menstruel : le combo était réuni pour me propulser dans une mini-tornade comme il en arrive parfois. J'arrive maintenant mieux à vivre pleinement l'émotion mais sans trop m'identifier aux pensées qui s'agitent à ce moment-là. Je ne leur accorde pas trop d'importance, j'observe juste qu'elles sont là et qu'elles en ont le droit. Ce n'est pas toujours facile, et je suis contente d'y parvenir chaque jour un peu plus. Mais là n'est pas le sujet du jour.
Je suis familière du « Travail qui relie », des travaux de Joanna Macy, de l'éco-anxiété. Je côtoie des personnes qui pratiquent activement ce lien à l'évolution de la planète que nous connaissons actuellement et aux émotions que cela peut procurer lorsqu'on prend le temps d'y être attentif.
Mais je n'avais pas ressenti depuis longtemps l'intensité de cette connexion au monde, à la souffrance du monde, aux cris souvent silencieux de ses habitants.
Ces hommes, ces femmes, ces jeunes, ces enfants, ces personnes âgées, qui portent avec eux les larmes d'un monde qui ne sait pas, qui ne sait plus comment prendre soin d'eux.
Ces cellules de l'humanité, son poumon ou ses jambes, qui sont reclus dans des résidences fermées, dans des quartiers isolés, dans des foyers confinés, qui tous tentent d'ouvrir l'horizon, d'entretenir l'espoir, de maintenir la vie.
Quel est ce monde qui peine à accompagner le vivant, qui s'échine à entretenir l'inconscience ?
Quel est ce monde qui ne donne pas les moyens à ses habitants de révéler ce qu'ils ont de vrai, de riche, de brillant en eux ?
Quel est ce monde qui n'arrive pas à muter de l'ancien vers le nouveau ?
Qui suis-je, dans ce monde ? Quelle part est-ce que je choisis de prendre dans tout cela ?

Puis je croise mon regard dans le miroir. Je vois et je ressens mon corps. Je prends conscience de sa densité, de sa matérialité, de sa maturité. Ce qui n'est pas mon habitude, je ressens un sentiment de gratitude envers ce corps qui me guide dans cette vie, dans ce monde, pour m'aider à y incarner ce en quoi je crois : l'authenticité, la confiance, la coopération. De soi à soi, de soi à l'autre, de soi au monde.
Ce corps qui m'a permis et me permet aujourd'hui de mettre en acte mes convictions pour les temps à venir : réconcilier autonomie et responsabilité, bienveillance et liberté, souveraineté et lien. Qui me donne l'opportunité d'incarner à travers mes activités ce en quoi je crois profondément.
La gouvernance partagée pour créer et conscientiser des processus collectifs afin d'accompagner les évolutions individuelles et structurelles ; la médiation équine et l'equicoaching pour se reconnecter à son authenticité et à sa puissance personnelle, grâce aux chevaux, dans un cadre collectif sécurisant ; le revenu de base pour soutenir l'émancipation individuelle et la répartition/création de richesses communes ; la spiritualité pour faire grandir la conscience collective et nourrir une posture individuelle juste et sereine.
Et la confiance est revenue. Je ne la cherchais pas, mais elle était là.
Le monde est là. Avec ses larmes et ses joies. Avec ses incendies et ses feux d'artifice. Avec ses nuances et ses teintes parfois grossières, parfois subtiles. Avec ses guerres et ses naissances. Dans son cycle infini pour évoluer, dans sa roue, qui mêle drames et trésors au quotidien.
C'est sa force, c'est notre force. C'est l'équilibre entre l'ombre et la lumière, qui nous pousse à la clarté, à la lucidité, à l'alignement.
C'est le fait d'être avec ces nuances, avec ces incertitudes, avec cet inconnu.
C'est le fait d'être une partie de ce monde, une cellule de ce grand corps. Sa larme, c'est la mienne. Ma larme, c'est la sienne.
C'est le fait d'être.

Photos personnelles · Pérou, Canyon del Colca · 2020